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Si elle était permise par la loi ou consacrée par l'usage, la conjonction du nom du père avec celui de la mère aurait pour effet de perpétuer par une autre voie ce qui existe et ce qu'on ne saurait trop tôt anéantir, l'inégalité des enfants arbitrairement partagés en deux catégories : les enfants de la loi et les enfants de la nature.

Ceux qui porteraient deux noms, le nom de leur père conjointement avec le nom de leur mère, seraient réputés légitimes. Ceux qui porteraient uniquement le nom de leur mère seraient réputés illégitimes.

Ce serait vouloir détruire ce qu'on aurait entrepris de fonder. Toute règle qui n'est pas absolue n'est pas une règle.

Toute règle qui admet une exception, une seule, si petite qu'elle soit, est une amphore fêlée au fond, qui, parce qu'elle est plus lente à se vider par le fond qu'à s'emplir par le haut, ne s'en vide pas moins.

Aucune exception, sous aucune forme, sous aucun nom, sous aucun prétexte, sous aucun motif, ne doit fausser la règle ainsi posée :

LES ENFANTS SONT ÉGAUX DEVANT LA MÈRE.

Faussée et détruite serait cette règle, si toutes les mères, remplissant pieusement les devoirs de la maternité, n'étaient pas égales entre elles.

Devant la société, ce nom signifiant conscience publique, il ne doit plus y avoir que deux classes de femmes : les bonnes mères et les mauvaises mères.

Objection:

XI.

« La raison, l'honnêteté, la pudeur parlent en faveur du mariage, la France n'a jamais été sourde à leur voix. Elle l'a bien montré dans ces derniers temps, lorsque certaines sectes nova

«trices qui font entrer l'abolition, ou, si l'on veut, la transfor«mation du mariage dans leurs plans de régénération, ont osé <<< toucher à ce point délicat..... Le bon sens public s'est tenu en garde; les bonnes mœurs se sont révoltées; le ridicule et le mépris ont fait le reste. » (TROPLONG.)

Réponse :

Quelle que soit l'autorité que les paroles qui précèdent empruntent au caractère de l'auteur du Contrat de mariage, premier président de la cour d'appel de la première ville de France, cette autorité ne peut rien contre les faits; elle expire devant les chiffres. Il existe, en France, on ne saurait le répéter trop souvent, 2,800,000 enfants nés hors mariage, sans y comprendre les enfants, en nombre peut-être égal, 1 sur 13, attribués, pendant le mariage, à des maris qui en sont réputés légalement les pères lorsque réellement ils ne le sont pas, sans tenir compte des enfants morts-nés, 1 sur 30, soit sur 925,425 naissances, 31,398 morts annuelles ayant pour causes principales des grossesses cachées et des couches clandestines.

Que pèsent des paroles vides et légères dans la balance, où du côté opposé, sont jetés des chiffres si précis et si accablants?

Ces chiffres d'une exactitude incontestable et incontestée attestent et démontrent l'impérieuse nécessité de sonder la profondeur de la plaie purulente où menace de se mettre la gangrène.

Bander une plaie est moins pénible que la sonder; contester le mal est plus facile que le guérir. Je le sais.

Partout le nombre des enfants nés hors mariage tend à s'accroître, et déjà, dans les plus grandes villes, il est sur le point de marcher de pair avec les enfants nés pendant le mariage. Publiciste, jurisconsulte, magistrat, auteur du livre intitulé : le Contrat de mariage, que proposez-vous de faire pour préserver de cet envahissement les États d'où l'esclavage et le servage ont

disparu, mais où l'inégalité civile subsiste sous une autre forme ou sous d'autres noms?

Est-ce que l'égalité civile, dont ces États se vantent d'être en pleine possession, existe entre l'enfant né pendant le mariage et l'enfant ué hors le mariage?

Est-ce que l'égalité civile existe entre deux frères issus de la même mère, l'un dont la naissance a été impudemment et frauduleusement imputée au mari, l'autre dont la naissance lui a été timidement et scrupuleusement dissimulée, le premier, fils de la fraude, passant pour légitime, le second, fils du scrupule, étant qualifié d'adultérin; celui-ci admis à succéder et celui-là exclu de l'héritage?

Est-ce que l'égalité civile existe entre deux frères, tous deux fils du même père, mais l'un mis au monde par l'épouse, et l'autre inis au monde par la maîtresse?

Est-ce que cette flagrante inégalité civile peut longtemps subsister où l'égalité politique a triomphé?

L'esclave a conquis la liberté : est-ce que le bâtard ne finira pas par conquérir l'égalité?

Est-ce que l'enfant innocent a moins de droits que le père coupable à la justice de la société?

Est-ce que le mari doit être compté pour tout et l'enfant pour rien?

Est-ce que

fant de la loi?

l'enfant de la nature est d'essence inférieure à l'en

On peut ajourner ces questions; on ne peut pas les supprimer.

Tôt ou tard, elles se poseront.

Vaut-il mieux que ce soit tardivement? Se håter de les résoudre, au lieu de les laisser s'aggraver, n'est-il pas plus sage?

Lorsque existait le droit d'ainesse, le sort des bâtards différait de si peu du sort des cadets, qu'il ne valait pas la peine de s'en

occuper; mais depuis que la loi est intervenue dans les successions pour proclamer l'égalité des partages, un droit nouveau s'est ouvert. C'est ce droit qu'invoquent hautement par ma voix tous les bâtards de France, et que ne saurait longtemps méconnaître le magistrat, aussi haut placé que le premier président de la cour d'appel de Paris, qui a condamné en ces termes tous les artifices employés pour fausser la nature: « On n'a qu'à lire la Politique d'Aristote et l'on verra le tableau... des déréglements ‹ et des mauvaises influences des femmes. C'est le mécompte le

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plus triste infligé par l'invincible nécessité aux artifices employés pour fausser la nature. » (TROPLONG. Du droit naturel à Sparte.)

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Il faut choisir entre ces deux régimes:

Le régime de la paternité, qui est le régime de la loi, et le régime de la maternité, qui est le régime de la nature; celui-ci conforme à la vérité incontestable, celui-là condamné par la statistique incontestée.

DECRET DE L'AVENIR.

Considérant que l'État, être abstrait et collectif, n'a le droit de régir que ce qui est essentiellement collectif, nécessairement indivis et exclusivement public;

Considérant que la femme s'appartenant et relevant de sa raison a les mêmes droits que l'homme à la liberté et à l'égalité;

Considérant que, comme convention, le mariage est un acte purement individuel, et, comme célébration, un acte purement religieux (**);

Considérant, d'une part, que la recherche de la paternité est expressement interdite, et d'autre part, que la maternité offre seule la certitude nécessaire pour régler le droit de succession; Considérant que la mère est responsable du sort des enfants auxquels elle a donné la naissance;

Considérant, enfin, que les enfants sont égaux devant la mère;

Décrète ce qui suit:

ARTICLE 1.

Après le décès de la mère, ses biens sont partagés par égales portions entre les enfants nés d'elle, portant son nom et le transmettant de fille en fille.

(*) Voir page 53, la note où il est rapporté, par M. le comte Portalis, que la célébration civile du mariage n'existe, en France, que depuis le 5 septembre 4685

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