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CHAPITRE 1er.

EXERCICE DE LA SOUVERAINETÉ

INDIVIDUELLE, COMMUNALE, NATIONALE.

La meilleure des démocraties est celle qui ressemble le plus à la monarchie. PLATON, Banquet des sept sages.

Il ne suffit pas d'organiser un gouvernement parfait, il faut surtout un gouvernement praticable, d'une application facile et commune à tous les états; loin de là, on nous présente aujourd'hui des Constitutions inexécutables et compliquées. ARISTOTE.

Trouver une forme d'association qui défende et protége de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et soit aussi libre qu'auparavant.

J.-J. ROUSSEAU, Contrat social.

Les idées de contre-poids, d'équilibre, ont sur certaines gens une influence d'autant plus grande qu'ils les entendent moins. Les hommes, en général, aiment mieux les choses fines que les choses vraies, admirent moins ce qui est simple que ce qui est compliqué, croient plus volontiers ce qu'un petit nombre se vante d'entendre que ce qui est entendu de tout le monde. FRANKLIN, 1788.

Il est dans le cours ordinaire des choses que les machines plus compliquées précèdent les véritables progrès de l'art social comme de tous les autres arts; son triomphe sera pareillement de produire les plus grands effets par des moyens simples. SIEYES, 1789.

Il est douloureux de penser en quelle formidable proportion tous les efforts et tous les talents du monde sont employés, même dans l'état social le plus avancé, à se neutraliser les uns les autres. Le véritable objet de tout gouvernement est de réduire le plus possible cette déplorable déperdition, en prenant telles mesures qui fassent servir à augmenter le bien-être moral et matériel de l'espèce humaine, l'énorme quantité de forces que les hommes emploient aujourd'hui à se nuire les uns aux autres ou à se protéger les uns contre les autree. STUART MILL.

L'art social n'est autre chose que l'art d'organiser le gouvernement de manière à ce qu'il puisse toujours veiller efficacement à la défense des institutions protectrices de la liberté, sans jamais pouvoir tourner contre ces institutions la force qui lui a été confiée pour les maintenir. COUSIN, De la Justice.

La révolution a détruit le gouvernement de l'ancien régime, mais elle n'a pas construit son propre gouvernement. GUIZOT.

Le droit de suffrage étant au droit d'aînesse, ce que l'Élection est à l'Hérédité, ce que la République est à la Monarchie, ce que l'Avenir est au Passé, ce que le Jour est à la Nuit, ce que le Pôle arctique est au Pôle antarctique, chercher et trouver :

Le mode de suffrage universel qui soit la méthode la plus certaine pour découvrir les meilleurs et les plus capables;

La forme d'administration des États qui, conciliant les traditions du passé avec les nécessités de l'avenir, la puissance d'initiative avec l'efficacité du contrôle, l'unité avec la responsabilité, la grandeur nationale avec l'économie publique, la souveraineté individuelle avec la souveraineté collective, soit l'Ordre par la Liberté.

Tel est le probleme dont l'importante et urgente solution aurait dû être mise au concours dès le lendemain de la Révolution du 24 février 1848, par tous les gouvernements prévoyants, si gouverner c'était prévoir.

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- Mais qui y a songé?

Personne.

C'est précisément parce que j'ai vu que personne n'y songeait qu'il m'a paru nécessaire d'en faire l'objet de mes recherches les plus opiniâtres et de mes méditations les plus constantes, ne fût-ce que pour donner un utile exemple, une salutaire impulsion.

L'usage du chronomètre, du baromètre, du thermomètre, s'est répandu dans tout le monde civilisé; il en sera ainsi du suffrage universel, appelé à devenir, relativement à l'opinion publique, ce que le chronomètre est au temps, dont il donne la mesure avec une précision rigoureuse, ce que le baromètre est à la température dont il indique toutes les variations.

Le suffrage universel doit être à la souveraineté nationale, communale, individuelle ce que la parole est à la pensée, le moyen de s'exprimer, mais il n'en sera ainsi qu'après qu'il aura cessé d'être un instrument de guerre, pour devenir un instrument de liberté et qu'il aura substitué la liberté des opinions à la guerre des partis.

Les minorités ont le même droit que les majorités à être représentées.

C'est le progrès vers lequei doivent tendre tous les esprits qui cherchent avec persévérance le juste et le vrai.

Les 86 départements dont se compose la France sont partagés en deux camps; l'un est le camp de la Majorité; l'autre est le camp de la Minorité. Dans l'un comme dans l'autre camp, c'est un pêle-mêle d'idées confuses qui s'excluent, d'intérêts rivaux qui s'allient, de cocardes honteuses qui se cachent, de drapeaux ennemis qui se mentent, de chefs ombrageux qui se détestent, de soldats déserteurs qui se méprisent. Bien difficile serait souvent d'expliquer autrement que par un hasard, un caprice, une fausse évo

lution, pourquoi tels qu'on pourrait nommer sont dans les rangs de la Minorité, au lieu d'être dans les rangs de la Majorité, et tels autres dans les rangs de la Majorité, au lieu d'être dans les rangs de la Minorité. Si, à peu d'exceptions près, personne, au jour de la lutte électorale, ne se retrouve immuablement à la place que lui assignaient ses principes et ses intérêts, ce n'est pas l'inconséquence de l'esprit humain qu'il faut en accuser, c'est l'imperfection des modes électoraux qui ont été successivement en usage.

En fait de régime électoral, on en est encore au régime féodal, à ce temps où la Justice n'avait pas désarmé la Force; où, au lieu de s'adresser à un juge, on s'adressait à son épée; où, au lieu d'échanger des assignations, on échangeait des cartels; où l'innocence, au lieu de se défendre par un avocat armé d'un dossier, se défendait par un chevalier armé de pied en cap; on en est encore aux combats.

Est-il donc nécessaire que le suffrage universel soit un combat électoral?

N'est-ce pas la barbarie?

Ne saurait-il donc exister un autre moyen pour la souveraineté individuelle, communale, nationale de se faire jour, de s'exercer? Que veut-on? Que doit-on vouloir ?

On veut que toutes les idées se débattent, que tous les principes se discutent, que tous les drapeaux se déploient, que tous les intérêts se défendent, que toutes les plaintes s'énoncent, que toutes les erreurs se redressent, que tous les abus se découvrent, que toutes les aptitudes se produisent et que toutes les supériorités se démon

irent.

Le moyen qu'on emploie est-il bon, est-il le meilleur ?

Est-il donc absolument nécessaire que 86 départements, comme en France, se divisent en autant de camps ennemis, ayant tous et chacun leurs vainqueurs et leurs vaincus, une majorité et une minorité?

Est-ce la liberté ? N'est-ce pas la guerre ?

C'est la guerre civile socialement transformée; c'est la guerre ci

vile, moins l'effusion du sang; c'est la guerre civile, avec cette différence qu'au lieu d'employer des cartouches, ce sont des bulletins qu'on emploie; ce n'est pas la liberté électorale.

La liberté électorale, c'est que chacun vote, en paix, comme il l'entend et pour qui il lui plaît, sans agression, sans antagonisme, sans que choisir un nom ait forcément pour conséquence d'en exclure un autre, sans que voter pour ait indirectement pour effet de voter contre, sans qu'il soit nécessaire d'arborer une cocarde et de se ranger sous l'un des deux drapeaux en présence.

Dans le système du morcellement électoral, les majorités seules sont représentées; les minorités sont exclues.

C'est l'oppression organisée des minorités.

C'est le despotisme localisé des majorités.

De 1848 à 1850, un grand citoyen qui avait blessé toutes les coteries en se plaçant au-dessus d'elles, pouvait réunir sur son nom deux millions de voix, en France, et n'être pas élu représentant, tandis qu'avec moins de 9,000 voix obtenues dans un collége, tel candidat siégeait sur les bancs de l'Assemblée nationale.

A des élections générales, un candidat pouvait n'être pas élu avec 100.000 voix, et l'être, un mois après, avec moins de 10,000 voix, dans des élections partielles.

Combien de candidats, ayant eu de 50,000 à 100,000 voix, sont, en 1848 et 1849, restés au seuil de l'Assemblée constituante et de l'Assemblée législative! Combien d'autres l'ont franchi, qui n'avaient eu que de 10,000 à 20,000 suffrages!

Dans tel département, pour réussir, il fallait plus de 100,000 voix; le tiers suffisait dans le département voisin.

Dans tel département, l'électeur avait le droit de nommer 28 représentants; dans le département contigu, l'électeur n'avait le droit d'inscrire que 7 noms sur son bulletin.

Le motif tiré de l'inégalité de la population comparée, était-il un motif qui justifiât suffisamment cette inégalité du vote individuel?

Toute cette paperasserie qui s'intitule pompeusement: Listes

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