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pondre à cette question : « Si les hommes n'avaient » pas d'autre législation que leur instruction, si les >> peuples n'avaient pas d'autre constitution que leur » civilisation, le monde en irait-il moins bien et moins >> sûrement? »

Cet avenir, que je vois distinctement, a pour cautions le passé et ses transitions successives, le présent et ses progrès accomplis, qu'il suffit de rappeler sommairement :

1. DESTRUCTION DE L'HOMME PAR L'HOMME.

BARBARIE.

--

Transition et progrès : — GUERRE.

II. POSSESSION DE L'HOMME PAR L'HOMME.

ESCLAVAGE. · Transition et progrès :

SERVAGE.

III. DOMINATION DE L'HOMME PAR L'HOMME. ARBITRAIRE. Transition et progrès : ·

LÉGALITÉ.

IV. EXPLOITATION DE L'HOMME PAR L'HOMME.
PÉCULE. - Transition et progrès :

SALAIRE.

La possession de l'homme par l'homme a été un progrès sur la destruction de l'homme par l'homme. La domination de l'homme par l'homme a été un progrès sur la possession de l'homme par l'homme.

L'exploitation de l'homme par l'homme a été un progrès sur la domination de l'homme par l'homme. L'instruction de l'homme par l'homme sera un progrès sur l'exploitation de l'homme par l'homme. J'ajoute donc :

V. INSTRUCTION DE L'HOMME PAR L'HOMME.
TRAVAIL. — Transition et progrès : — CRÉDIT.

Ce dernier progrès sera le régime définitif de la paix entre les peuples et de la liberté entre les hommes succédant aux régimes transitoires de la barbarie à la guerre, de l'esclavage au servage, de l'arbitraire à la légalité, du pécule au salaire, car le crédit est appelé à renouveler et à pacifier le monde.

Depuis le commencement des siècles, qu'apprend-on aux peuples? On leur apprend à se battre; on leur apprend, à grand'peine et à grands frais, à se conduire non en êtres supérieurs qui raisonnent, mais en êtres inférieurs qui ne raisonnent pas, non en hommes policés s'entr'aidant, mais en bêtes féroces s'entr'égorgeant; peine et dépense qu'il suffirait de s'épargner pour qu'une ère nouvelle s'ouvrìt, ère qui serait la fin du règne de la force matérielle, ère qui serait le commencement du règne de la force immatérielle.

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Et que serait-ce si tout le temps et tout l'argent qu'on dépense ainsi à perpétuer la barbarie au sein de la civilisation étaient employés à convertir les soldats en instituteurs, les casernes en écoles, les arsenaux en bibliothèques, les munitions et les instruments de guerre en livres et en instruments d'études! Au bout d'une année qu'a produit une armée de trois cent mille hommes ayant coûté plus de trois cents millions? Rien. Qui pourrait calculer ce que rapporterait le même capital annuellement appliqué au défrichement, à la culture, et au sarclage de toute la portion encore jeune d'une nation de trente millions de têtes? Quel progrès se ferait attendre? Quelle richesse resterait inexplorée ? Quelles difficultés résisteraient? Que ne pourrait-on pas entreprendre? - Tout.

L'homme est ce que le font l'ignorance et la misère. L'homme est ce que le font l'instruction et le bien-être. Même au temps de Platon, l'influence de la richesse sur la moralité était constatée en ces termes par l'auteur de la République et des Lois : « C'est à la richesse que » l'on doit, en grande partie, de n'être pas réduit à » tromper ou à mentir et de pouvoir, en payant ses » dettes et en accomplissant les sacrifices, sortir sans >> crainte de ce monde, quitte envers les pauvres et en>> vers Dieu. >>

Or, la société qui, sous des peines sévères, exige qu'on la respecte jusqu'à la superstition et qui interdit qu'on ose la scruter, est-elle ce qu'il faut qu'elle soit pour que tout homme qui emploie toute sa force, toute son intelligence, retire de son intelligence et de sa force, utilement dépensées, de quoi semer fructueusement, autour de lui, l'instruction et le bien-être? Fait-elle tout ce qu'il faut qu'elle fasse pour combler, par le bien-être, l'immense gouffre qui existe entre la misère et le luxe, entre la privation et la tentation, et, en le comblant, sauver ainsi de l'avilissement, de l'abrutissement, de la prison, du bagne, de l'échafaud les victimes que ce gouffre attire à lui, par le vertige qu'il leur donne ?

Vauvenargues a dit : «Tandis qu'une grande partie de » la nation languit dans la pauvreté, l'opprobre et le tra>> vail; l'autre, qui abonde en honneurs, en commodi»tés, en plaisirs, ne se lasse pas d'admirer le pouvoir de » la politique qui fait fleurir les arts et le commerce et >> rend les États redoutables. »

Montesquieu a dit : « Tant d'hommes étant occupés à >> faire des habits pour un seul, le moyen qu'il n'y ait >> bien des gens qui manquent d'habits? Il y a dix hom» mes qui mangent le revenu des terres contre un la>>boureur, le moyen qu'il n'y ait pas bien des gens » sans aliments. »

Quels sillons ont creusés ces paroles? Quelle semence ont reçue ces sillons? Quels épis a portés cette semence? Quelles gerbes ont formées ces épis? Société, ne serais-tu donc qu'un champ aride où la parole est stérile? Est-il certain, est-il démontré que la richesse léguée aux générations par les générations suit le cours qu'elle devrait suivre? La richesse qui s'amasse ainsi répandelle la richesse ou étend-elle la misère et, avec la misère, le crime? N'y a-t-il pas un vice de répartition, un

défaut de circulation, un manque d'équilibre entre la production et la consommation, que l'impôt pourrait et devrait atténuer et qu'il aggrave?

Partout la misère apparaît à tous les yeux; avertie par Montesquieu, la société fait-elle ce que fait la nature? « La nature, dit-il, est juste envers les hommes : >> elle les récompense de leurs peines; elle les rend labo» rieux, parce qu'à de plus grands travaux elle attache » de plus grandes récompenses; mais si un pouvoir ar>> bitraire ôte les récompenses de la nature, on reprend >> le dégoût pour le travail, et l'inaction paraît le seul >> bien. >>>

Est-il bien certain que nos lois factices ne soient pas conçues en sens inverse de cette loi naturelle, et, dans ce cas, à qui serait-il juste d'imputer les crimes qu'elles recherchent et qu'elles punissent? Il est passé en axiome que l'unique moyen de tarir le mal, c'est de remonter à la source. Or, le mal existe; il apparaît à tous les regards; il n'est contesté par personne. Remontons donc à la source.

Qu'est-ce que l'ignorance? C'est la misère immatérielle. Comment peut-on la combattre et la détruire ? On peut la combattre et la détruire par l'instruction, non moins certainement que par le travail on peut combattre et détruire la misère matérielle. Ainsi donc le travail et l'instruction sont les moyens par lesquels on peut tarir et la misère matérielle et la misère immatérielle, ces deux sources de la plupart des crimes.

Les remèdes au mal étant connus, comment la société ne les applique-t-elle pas? Qu'a-t-elle à faire de plus important et de plus urgent? Quelle mission plus haute, quel devoir plus impérieux a-t-elle à remplir? Craint-elle que l'instruction, en s'universalisant, ne fasse le nivellement ? Cette crainte serait fondée qu'elle n'en serait pas moins blâmable; mais elle est chimé

rique, car l'instruction est, de toutes les échelles, celle qui compte le plus d'échelons; de tous les amphithéâtres, celui qui comporte le plus grand nombre de degrés; de toutes les pyramides, celle dont la base est la plus large et le sommet le plus élevé.

Instruction universelle n'est pas ici une expression employée pour dire: la même instruction donnée à tous. Loin de là! Telle que je l'entends, instruction universelle signifie : instruction nécessaire, et rien de plus; conséquemment, instruction graduée et variée selon le niveau et la diversité des aptitudes. Certes, ce n'est pas moi qui voudrais prendre pour exemple cette instruction uniforme que l'Université exige sous le nom de baccalauréat ès-lettres et de baccalauréat èssciences, véritable lit de Procuste sur lequel elle mesure indistinctement les mémoires les plus inégales, étend impitoyablement les aptitudes les plus diverses. Un tel enseignement est le pire de tous les communismes, la pire de toutes les promiscuités; car c'est le communisme et la promiscuité des intelligences. Aussi quels n'en sont pas les tristes résultats, au double point de vue de la société et de l'individu ! Quels hommes forme cette instruction communiste! Ne semble-t-il pas qu'en eux tout ressort soit brisé, toute spontanéité éteinte! Hors du chemin battu, quand il est obstrué, et il l'est souvent, ils sont incapables de s'en frayer aucun autre. Il ne semble pas que ce soient des hommes se dirigeant par la force qui leur est propre, il semble plutôt que ce soient des machines se mouvant en raison de l'impulsion reçue.

A l'exception du parc de Versailles et d'une allée du jardin des Tuileries, où cette barbarie est restée en usage et en honneur, on a renoncé à tailler et à rogner les arbres, comme on les taillait et rognait sous Louis XIV, qui ne permettait ni à une branche ni à

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