l'urne. Nul ne peut donc voter deux fois dans la même élection. Fraudes électorales et influences locales disparaissent par l'impossibilité de s'organiser simultanément dans d'aussi nombreuses sections, rayonnant de tous les points de la circonférence au centre. L'élu est véritablement l'élu de l'État, et non pas l'élu d'un département, d'un comté ou d'une province. L'élu est affranchi, vis-à-vis de l'électeur, de toute dépendance, de tout lien. L'électeur, à son tour, n'a plus à subir les obsessions des candidats; il n'a plus à craindre les menaces ou à résister aux séductions qui forment, dans les systèmes actuels, un cercle étroit autour de lui. Électeurs et élus sont réellement et réciproquement libres. Par cette élection à double ressort, qui fait ainsi une juste part à la MAJORITÉ et à la MINORITÉ, je donne satisfaction à deux sentiments contraires : Le SENTIMENT DE CONFIANCE, sentiment simple, exclusif de sa nature, et représentant l'unité, s'exprimant exactement par le chiffre I; Le SENTIMENT DE DÉFIANCE, sentiment composé, formé de mobiles divers, s'exprimant dans toutes ses nuances par le chiffre XI. Nul mécanisme n'est moins compliqué: deux roues qui s'engrènent et qui tournent en sens opposé. Ai-je mis en application ces paroles de Platon? « LA MEILLEURE DES DÉMOCRATIES EST CELLE QUI RESSEMBLE LE PLUS A LA MONARCHIE. >> C'est ce que je vais essayer de vérifier par une hypothèse : Je suppose que le premier dimanche de mai dix millions d'électeurs aient voté, et que les voix se soient réparties ainsi qu'il suit : A. personnifiant la MAJORITÉ COMPACTE, incarnant la confiance du pays, serait proclamé MAIRE D'ÉTAT. B. C. D. E. F. G. H. I. J. K. L., personnifiant la MINORITÉ DIVISÉE, incarnant les défiances des partis, les dissidences d'opinions, les rivalités d'intérêts, seraient proclamés MEMBRES DE LA COMMISSION NATIONALE DE SURVEILLANCE ET DE PUBLICITÉ. Ainsi la Minorité deviendrait à son tour Majorité; seulement, chacune de ces deux majorités, l'une résumant la Confiance et l'Administration, l'autre la Défiance et le Contrôle, aurait une signification différente et une attribution distincte. En cas de désaccord sur l'interprétation de la volonté nationale et de l'intérêt collectif, entre ces deux majorités, entre l'Administration et le Contrôle, c'està-dire entre le MAIRE D'ÉTAT et la COMMISSION NATIONALE DE SURVEILLANCE ET DE PUBLICITÉ, la partie la plus diligente des deux, MAIRE D'ÉTAT OU COMMISSION NATIONALE DE SURVEILLANCE, convoquerait l'arbitre suprême, c'est-à-dire le Peuple, qui prononcerait souverainement. Les onze membres de la COMMISSION NATIONALE DE SURVEILLANCE ET DE PUBLICITÉ ne jugeraient jamais, ils avertiraient toujours; il exerceraient le contrôle, jamais le pouvoir *. Dans ce système, toute grande question, toute opinion populaire pourrait se faire jour et se débattre librement sans que jamais les nombreuses populations qui travaillent soient placées sous le coup de cette funeste alternative: ou d'être obligées d'interrompre leurs pressants travaux ou d'être exposées à subir des lois nuisibles votées à faux par suite de leur abstention. Dans ce système, pour que le Peuple fût convoqué avant l'expiration du terme annuel et normal fixé au premier dimanche de mai de chaque année, il faudrait une circonstance extraordinaire, un cas très grave tels que une insulte à venger, une agression à repousser, un allié à secourir. En temps ordinaire, il suffirait au Peuple de donner un jour par an à la politique; mais ce jour-là, être collectif, il exercerait pleinement le pouvoir national. Il n'aurait à craindre d'être trompé par aucune délégation, car s'il avait été abusé par de vaines promesses ou de faux semblants, dès le lendemain, averti et convoqué par la minorité vigilante, ombrageuse, composant la COMMISSION NATIONALE DE SURVEILLANCE, il * Ce rôle serait celui que remplissait à Rome le collége des tribuns. Le nombre des tribuns dont il se composait avait fini par s'élever jusqu'à dix. Ils étaient élus chaque année. Ils ne siégeaient pas dans le sénat; ils avaient auprès de la porte un banc d'où ils pouvaient entendre les délibérations sans y participer. Si le sénatus-consulte qu'il s'agissait d'émettre leur paraissait contraire à la loi ou aux intérêts du peuple, ils avaient le droit d'en empêcher l'exécution par le mot veto, que l'un d'eux y opposait. pourrait revenir sur son choix et révoquer l'élu infidèle ou incapable qui l'aurait trompé. Usurpations, conflits, insurrections, révolutions seraient matériellement impossibles dans ce système; je puis donc dire qu'il les abolit. A la guerre des partis, il substitue la liberté des opinions. Il n'y a plus ni vainqueurs, ni vaincus. Il y a partage entre eux d'attributions. Les uns ont l'Administration, les autres ont le Contrôle. La force des minorités, qui fut longtemps une force perdue et dangereuse, devient une force précieuse et utilisée. Faute de raison d'être, d'abord, et ensuite par lassitude de constater, chaque année, leur impuissance, de la faire éclater au grand jour de l'élection et de la publicité, les partis s'éteindraient, et l'unité nationale, c'est-à-dire la communauté d'efforts et d'intérêts se reformerait sans violence, sans compression, sans proscription. Dans ce système, la Majorité, la grande Majorité, la vraie Majorité serait toujours certaine d'ètre représentée par elle-même; elle n'aurait jamais à craindre l'infidélité d'aucun mandataire, car l'expiation ne se ferait pas attendre. Le MAIRE D'ÉTAT et les onze membres de la COMMISSION NATIONALE DE SURVEILLANCE ET DE PUBLICITÉ poursuivant le même but par deux voies opposées : être réélu, aucune rencontre fàcheuse, aucun accord coupable, ne seraient à craindre. Ce système réunit les deux avantages de la monarchie et de la démocratie, car il concilie la stabilité avec la mobilité. Preuves: Si le Peuple, si le souverain est content de son maire, meure: il le réélit chaque année, et le garde jusqu'à ce qu'il Stabilité. Si, au contraire, le souverain trouve que son maire se relâche, il le change, et, pour lui donner un successeur, il n'a qu'à choisir, soit parmi les onze membres de la Commission de surveillance celui qui s'est montré le plus vigilant, le plus ferme, le plus capable, soit ailleurs : - Mobilité. Jamais il n'est lié; toujours il est libre. Qu'y a-t-il de plus simple? C'est l'unité d'accord avec la responsabilité. C'est ce que prescrivait le cardinal de Richelieu dans son testament: << Diverses expériences m'ont rendu si savant en cette matière que je penserais être responsable devant Dieu, si ce présent testament ne portait pas, en termes exprès, qu'il n'y a rien de plus dangereux pour un Etat que diverses autorités égales en l'administration des affaires. >> Ce que l'une entreprend est traversé par l'autre, et si le plus homme de bien n'est pas le plus habile, quand même ses propositions seraient les meilleures, elles seraient toujours éludées par le plus puissant en esprit. » Chacun aura ses sectateurs, qui formeront divers partis dans l'État et en diviseront les forces au lieu de les réunir ensemble. >> Ainsi que divers pilotes ne mettent jamais tous ensemble la main au timon, aussi n'en faut-il qu'un qui tienne celui de l'État. » Il peut bien recevoir les avis des autres, il doit même quelquefois les rechercher; mais c'est à lui d'en examiner la bonté, et de tourner la main d'un côté ou d'autre, selon qu'il estime plus à propos, pour éviter la tempête et faire sa route. >> C'est ce qu'enseignait Frédéric II, roi de Prusse : « La force des États consiste dans les grands hommes que la nature y fait naître à propos. » Gouverner n'est pas difficile: on prend de bons ministres et on les laisse faire. » |