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jusqu'au dégel, vivant de viande fumée, de glands séchés et de farine d'orge» (1). C'est la triste vie sous la neige. Au pied de la montagne, d'abondantes pluies marquent la saison d'hiver, tout au moins sur les versants maritimes du Rif et surtout de l'Atlas où elles tombent torrentiellement, car du côté qui regarde le Sahara, c'est un autre climat; «point d'hiver; on sème en décembre, on récolte en mars; l'air n'est jamais froid; au-dessus de ma tête un ciel toujours bleu,

Où jamais ne flotte une nue

S'étale implacablement pur » (2).

Au dire des voyageurs les orages sont fréquents en été et la chaleur est forte dans les parties basses de la montagne tant dans les régions infertiles que sous les oliviers qui couvrent certaines de ses pentes, souvent même des brumes épaisses montent des vallées estompant le paysage. Cependant la température doit se ressentir de l'altitude: sur les hauts sommets elle s'abaisse dans des proportions que nous ignorons encore. Dans les pittoresques vallons complantés d'arbres fruitiers entretenus par l'eau courante des séguias on goûte la fraîcheur délicieuse d'ombres épaisses.

Le climat des Hauts Plateaux du Maroc Oriental est caractérisé par des écarts extrêmes et les météorologistes l'ont comparé à celui des âpres régions du Pamir et de l'Asie Centrale. << Tandis que l'été la température s'y maintient durant plusieurs semaines au-dessus de 40° à l'ombre (et l'ombre est rare en ce pays sans un seul arbre), en hiver on y enregistre des froids allant jusqu'à 6 et 7o au-dessous de zéro : alors la neige couvre parfois le sol sur de vastes étendues, s'amoncelle dans les ravins, et c'est ainsi qu'en 1908 un de nos détachements en route pour le poste de Forthassa fut englouti et perdit plusieurs hommes. Durant l'hivernage c'est-à-dire jusqu'à la fin de février les pluies sont plus abondantes qu'on ne pourrait le croire et le vent souffle presque sans répit » (3). Mais tout

(1) De Segonzac. Au cœur de l'Atlas, page 29.

(2) De Foucauld. Reconnaissance au Maroc, page 119. (3) L. Rousselet. Sur les confins du Maroc, p. 115.

autre est le climat du littoral méditerranéen qui ressemble fort à celui de l'Oranie, car si l'on n'y trouve pas les pluies et l'abondante végétation de Tlemcen, les conditions climatériques sont cependant telles que la culture des céréales et la vigne viennent admirablement dans cette région orientale dont l'aspect donne dès maintenant une saisissante impression de la richesse qu'a créée en quelques années l'opiniâtreté des colons français.

LES QUEDS

Des actions combinées du climat et du relief est résultée pour le Maroc la constitution d'un réseau hydrographique intéressant. C'est incontestablement le premier du Nord Africain. Mais les différents oueds dont l'ensemble forme le réseau du Maroc ne se présentent pas tous avec les mêmes caractères. Des flancs de l'Atlas descendent, en effet, vers la mer des rivières de diverse importance. Les unes, abondantes et longues, se fraient un passage rapide dans d'étroits cañons creusés à travers les plateaux calcaires et marneux ou tantôt au contraire développent en plaine leur cours aux calmes méandres qui forment comme des «< grands anneaux de reptile endormi » (1) et roulent du limon dans un lit trop large et dévasté. D'autres, maigres et courtes, comme les oueds du Rif septentrional, se jettent à la Méditerranée par des gouttières encaissées. Chacun de ces cours d'eau s'est façonné suivant le modelé du terrain et suivant le régime des pluies. Ici c'est le ruisselet sans profondeur né on ne sait où, disparu parfois sur une partie de son parcours, serpentant de nouveau dans la plaine où il s'offre aux bœufs errants comme un facile abreuvoir; là c'est le grand fleuve, couloir de 600 kilomètres et parfois davantage, qui profondément tracé entre des murailles escarpées apporte à l'Océan les eaux fraîches de l'Atlas dans un lit semé de poudingues et de cailloux roulés. A la vérité tous ces oueds n'ont qu'un trait commun : le déboisement de la plaine leur donne un régime torrentiel, qui se manifeste au printemps. Plusieurs d'entre eux conservent encore,

(1) André Chevrillon. Crépuscule d'Islam, p. 25.

même au moment des sécheresses estivales, des débits fort intéressants qui mériteraient d'être utilisés, tels ceux du Sébou pour la navigation, ou ceux de l'Oum er Rebia, du Tensift et de la Moulouya, pour le développement de la vie agricole du pays. C'est dans ces bons pays bien arrosés que se sont fixés les sédentaires qui trouvent dans la culture des céréales des ressources suffisantes pour leurs besoins et les pasteurs qui utilisent pour l'élevage les parties basses de la plaine où se forment des dayas (marécages) et les rives toujours humides des fleuves. Le commerce, par contre, ne s'est guère servi des oueds en amont. Les lieux de transaction les plus importants se sont en général portés sur la côte où de jolies petites villes, juchées sur la rive gauche d'un fleuve et ceintes d'imposants remparts, semblent commander son embouchure trop bien défendue déjà par les ensablements et les volutes de la barre, dont les escadrons d'argent « cabrés l'un sur l'autre, emplis d'un sourd ton« nerre vont à l'assaut avec un panache changeant » (1). Car les effets de la barre sont moins beaux dans la réalité de la vie qu'en poésie. Mehediya, Azemmour lui doivent leur mort au point de vue économique et le même sort attendait Larache et Rabat si les circonstances n'étaient venues placer leurs destinées dans les mains des Européens. Les marocains ne se sont en effet, jamais intéressés aux grands travaux publics dont l'exécution aurait contribué à revivifier leur pays. Ils n'ont jamais construit de ports, surtout de ports en rivière. Sauf Larache et Rabat situées à l'estuaire même du Loukkos et du Bou Regreg, aucune autre ville du Maroc ne s'est fondée à l'embouchure des fleuves. Aujourd'hui nulle vie commerciale n'anime la Moulouya inférieure, et il faudra beaucoup de temps et d'argent pour que les villes fluvio-maritimes de Tétouan et de Kenitra sises en amont, à quelques kilomètres dans les terres, deviennent de grands ports comme Mellila, Tanger, Casablanca ou Agadir! Si dans leur état actuel les fleuves du Maroc rendent peu de services à la colonisation, il n'en sera plus de même lorsque les richesses qu'ils représentent auront été exploitées. Non con

(1) A. Droin. Du sang sur la mosquée, page 6.

tents d'apporter au pays des moyens de transports complémentaires, ils fourniront la houille blanche nécessaire aux usines hydroélectriques, transformeront des plaines desséchées en nouvelles mésopotamies grâce à des travaux d'irrigation qui assainiront les régions basses et marécageuses. Ainsi l'œuvre hydraulique de la France au Maroc apparaît aussi belle à accomplir que celle des Anglais en Egypte. Enfin, par leurs richesses piscicoles ces oueds servirent encore à la vie économique du pays: le rôle alimentaire des poissons d'eau douce a été trop mis en évidence dans certaines parties du monde pour qu'il soit négligé dorénavant là où, comme au Maroc, les fleuves sont poissonneux.

Il est une autre catégorie de fleuves qui, descendus aussi de l'Atlas, ne présentent pas cependant les mêmes caractères que ceux dont le cours se dirige vers la mer. Ce sont les oueds du bassin saharien, tels le Guir, le Ziz, le Dra dont les eaux froides et impétueuses roulent au pied de la montagne, dans des gorges étroites et encaissées ou en bordure de villages et de cultures; et alors que tout près des vallées les crètes de l'Atlas se dessinent en longue masse blanche, dans les fonds pousse la végétation des pays froids: oliviers, figuiers, noyers. La coupe et l'aspect de la vallée varient d'ailleurs le long de l'Oued qui s'enfonce dans le sud; les montagnes qui le bordent vont s'abaissant et s'écartant à mesure qu'on avance dans les plateaux sahariens. Alors, tel l'Oued Dra moyen, le fleuve coule, sur un lit de sable sans berges, presque au niveau du sol voisin qu'il inonde dans ses crues. « Sur ses rives, le fond de la vallée est un jardin enchanteur: figuiers, taqqaiout, grenadiers s'y pressent; ils confondent leur feuillage et répandent sur le sol une ombre épaisse; au-dessus se balancent les hauts panaches des dattiers. Sous ce dôme c'est un seul tapis de verdure: pas une place nue; la terre n'est que cultures, que semis; elle est divisée avec un ordre minutieux en une infinité de parcelles, chacune close de murs de pisé; une foule de canaux la sillonnent, apportant l'eau et la fraîcheur. Partout éclate la fertilité de ce sol bienfaisant, partout se reconnaît la présence d'une race laborieuse, partout apparaissent les indices d'une population

riche à côté des céréales des légumes poussant sous les palmicrs et les arbres à fruits, se voicnt des tonnelles garnies de vigne, des pavillons en en pisé, lieux de repos où l'on passe, dans l'ombre et la fraîcheur, les heures chaudes du jour » (1). Mais en dehors de ces zones d'épandage ou maders ou de ces oasis qui sont fort peuplées, les vallées renferment peu de végétation: dans les régions pierreuses, un peu de thym; dans le sable semé çà et là de cailloux noirs, quelques touffes de drin, des jujubiers sauvages, et puis la mousse des hamadas et leurs gommiers rabougris. A défaut de rivières les puits et les canaux d'adduction souterrains (khettara et foggara), y donnent de l'eau aux humains. Enfin dans l'éblouissante blancheur de la plaine, qui se déroule jusqu'à l'horizon, les lits desséchés et sans verdure ne se distinguent plus. Seules paraissent quelques lointaines oasis, points noirs se reflétant dans les étangs et les longs lacs bleus que fait briller le mirage. C'est le désert morne étendant à perte de vue ses solitudes pierreuses.

Le littoral marocain ne se présente pas touSUR LA COTE jours, lui non plus, sous des aspects riants. On y rencontre souvent d'âpres falaises anciennes dont la dure carapace résiste à la mer qui n'y a pu tailler que des échancrures médiocres. Une des régions les plus remarquables à cet égard est bien la « côte de fer » du Rif, dénomination qui pourrait ne pas s'appliquer seulement au littoral escarpé, sauvage et triste, sans refuge contre les vents violents de l'Est et de l'Ouest, mais aussi aux habitants rudes et indomptables, à ces berbères, qui vivent de pêche et de pillage et dont le caractère vindicatif, intraitable et faux déplaît aux tribus voisines «< traitre comme un Guelaia » dit le proverbe (2). Cependant si les lames courtes de la Méditerranée entament difficilement ce bloc de granite et de sehistes, la puissance des courants du détroit de Gibraltar, accrue lors des tempêtes du Nord, de l'Est et de l'Ouest, arrive à modifier la ligne

(1) De Foucauld, page 209.

(2) Delbrel, Geographia General de la provincia del Rif, page 82.

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