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du rivage marocain: c'est alors l'ensablement des baies où les barques viennent chercher un refuge précaire; ou bien c'est la formation, par suite de l'inégale résistance des schistes, des grés et des roches éruptives, de quelques ilots, comme les Zaffarines, Alhucemas, Penon de Velez, qui, avec les saillies des caps et promontoires représentent les parties les plus dures, celles qui résistent le mieux à la démolition générale déjà facilitée par un mouvement d'affaissement du continent.

Mais c'est sur la côte occidentale que la puissance destructive des lames s'exerce dans toute sa plénitude. Aussi le rivage atlantique porte-t-il les marques de leurs attaques en caractères visibles. Trop bien exposé aux vents et à la forte houle du S.-E. pour ne pas recevoir les coups, il réunit toutes les conditions nécessaires à la formation des brisants. «D'une part, l'Océan qui le baigne est le siège de tempêtes dont les lames se propagent sans obstacle par de grandes profondeurs jusque près de la côte orientée normalement à leur direction, et, d'autre part, près de la plage, le talus sous-marin est assez raide pour que la houle garde encore une très grande force vive lorsqu'elle déferle. Il n'est pas rare en hiver, avec une atmosphère calme, de voir des volutes commencer à se former au-dessus des fonds de 20 à 25 mètres. Si de plus pendant une période de grosse houle provoquée par une tempête lointaine, le vent du large vient à souffler, les ondulations formées par la brise locale se transforment en lames forcées dont la vitesse superficielle est notablement accélérée. Le brisant se forme alors par des profondeurs encore plus grandes; sa puissance destructive est accrue dans de fortes proportions; la côte est assaillie de vagues furieuses. Le spectacle ne peut plus être contemplé que du rivage, car les navires sont obligés de gagner le large en tenant la cape (1). » Si, dans ces conditions, l'Océan est houleux sur toute la côte avec des brisants qui s'étendent à quelque distance, la forme des lames varie, au contraire, suivant la nature du rivage; là où celui-ci est sableux, l'ondulation est assez régulière; là où il est rocheux, comme à Rabat, Safi ou Agadir, le

(1) J. Renaud, La barre sur la côte atlantique du Maroc.

ressac se fait sentir assez loin. Par bonheur les raz de marée et les tempêtes sont rares, sans quoi le mouillage dans les rades foraines deviendrait impossible aux navires. Mais c'est là fort heureusement une situation que la construction de ports améliore de jour en jour.

LES GENS DE LA MER
ET LES CITADINS

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En dépit de ces caractères qui n'étaient pas de nature à faciliter les relations du Maroc avec les pays d'outre-mer des villes maritimes y sont nées, peut-être pas tant du fait des Marocains, il est vrai, que de celui des Phéniciens et des Carthaginois qui frangèrent le littoral de comptoirs qu'utilisèrent ensuite les Romains. Melilla, l'ancienne Rusaddir, remonte aux temps les plus reculés de même que les Colonies de Tingis (Tanger), Lixus près du Loukkos, Thymiaterion (Mehediya) à l'embouchure du Sebou, Sla (Salé) sur le Bou Regreg, Anfa (Casablanca), Rutubis portus (Azemmour) sur l'Oum er Rebia. Ces comptoirs antiques sont devenus, au cours des siècles, des cités musulmanes, et leur nombre s'est complété plus tard de Rabat, fondée par les Almohades au xio siècle, et des places fortes de Mazagan, Safi, Agadir, que les Portugais édifièrent sur la côte atlantique à partir du xvie siècle. Ainsi se sont créés au Maroc ces ports que la colonisation européenne transforme aujourd'hui pour les adapter à des conditions économiques et sociales nouvelles. D'ailleurs, ces villes côtières qui trafiquaient régulièrement au moyen âge, avec Venise, Gènes, Marseille, et qui devinrent des nids à corsaires, avant de renouer aux xvIIIe et XIXe siècles des rapports commerciaux très étendus avec l'Europe, possèdent dans leur situation géographique même le germe de leur futur développement: elles ne peuvent pas, sur des mers aussi fréquentées que l'Atlantique et la Méditerranée et là précisément où s'opère leur croisement, ne pas profiter des grands courants d'échanges entre l'Ancien et le Nouveau Monde et entre l'Afrique et l'Europe.

Bien qu'admirablement placé pour recevoir la visite des «< frégates» que lancèrent sur les mers les grandes puissances coloniales en quête de débouchés pour leurs produits manu

facturés, le Maroc a subi le contact commercial plus qu'il ne l'a recherché. Dans sa passivité il a accepté ce qu'il ne pouvait pas refuser et son mouvement d'affaires a commencé à se dérouler le jour où, résolus à quitter les villes makkzen de l'intérieur, quelques esprits plus entreprenants, ouverts par des séjours en Espagne ou par le contact avec les envahisseurs portugais et espagnols, sont venus se fixer à la côte. La vie côtière s'est alors éveillée non pas tant du fait de l'activité d'une population maritime que de celle de courtiers israélites enclins au négoce. Car les gens de la côte, fruit de races très diverses, n'ont pas eu, comme les Bretons par exemple, le sens et l'amour de la mer. Sauf chez les Rifains et les Salétins à qui la piraterie a façonné, en quelque sorte, une âme de marin, on ne peut pas remarquer chez le Marocain le goût du voyage en mer, de l'aventure. Non seulement encore aujourd'hui il alimente avec peine la corporation des barcassiers, « bateliers noirs ou bronzés aux visages de forbans (1) », mais encore il demande peu de chose à la faune marine cependant si riche dans ces parages : l'exploitation des ressources de la mer ne l'a même pas attiré. Il ne va guère pêcher au filet dans l'Océan et c'est aux rivières, comme le Sebou et l'Oum er Rebia, qu'il s'adresse de préférence pour s'approvisionner en poisson: l'alose a toutes ses faveurs.

Il faut reconnaître que la lutte quotidienne contre les vagues, et que la vie agitée et souvent dangereuse du marin ne conviennent guère au tempérament marocain énervé par un climat émolient. Il est même naturel qu'il recherche une situation plus calme, mieux adaptée à sa nature tranquille. Dans la classe moyenne comme chez les riches, beaucoup de Marocains ont d'ailleurs voyagé et connaissent Marseille, Paris, Londres, Alger, l'Asie Mineure. Mis au courant, par ces séjours à l'extérieur, des procédés d'achat des maisons de commerce européennes, du jeu des banques etc., ils ont préféré pratiquer le négoce susceptible de leur donner de bons rapports avec le minimum de risques, surtout au temps où l'insécurité des

(1) Jary. Les derniers berbères, p. 18.

campagnes et l'arbitraire des caïds menaçaient d'anéantir les efforts de ceux qui auraient voulu s'essayer à l'agriculture et à l'élevage. Sans compter que le commerce, petit ou moyen, est considéré par les marocains comme une étape vers la bourgeoisie qui est composée de négociants enrichis et d'anciens fonctionnaires du Makhzen. De là encore cette recherche dont sont l'objet les situations commerciales. Mais cette bourgeoisie mercantile, à la fois pépinière et retraite d'hommes politiques et de fonctionnaires du Maroc, ne présente pas grand intérêt. Rapace, sans pitié pour les petits, vicieuse et efféminée, elle vit d'intrigues de couloirs, de ragots politiques et de cancans (1) ». Sans opinion arrêtée, mais doué d'un sens très net de son intérêt, le Marocain est plus soucieux de la réussite de ses achats ou de ses ventes que des problèmes politiques du jour. Souple et opportuniste il s'accommode des situations qui ne le lèsent point. « Vive le sultan d'aujourd'hui ! » s'écrie-t-il, avec un accent que l'on croirait sincère, n'était sa réputation d'hypocrisie bien méritée. Et la fidélité de son cœur se trahit dans ses paroles : « Embrasse le chien sur la bouche tant que tu as besoin de lui » dit un proverbe qui suffit à faire comprendre la mentalité du Marocain ainsi que la ligne de conduite qu'il a adoptée vis-à-vis de l'étranger, du chrétien, le nozrani. En somme, sous les plus aimables apparences c'est la dureté de cœur qui se cache; c'est une indifférence que renforce un particularisme étroit:

« Dût le sable de Salé se changer en raisin sec
Jamais le Rbati ne sera l'ami du Slaoui »,

assure un dicton local, qui exprime bien l'égoïsme du commerçant très fier de la situation qu'il a réussi à s'acquérir dans le négoce et qui considère ses voisins eux-mêmes comme des étrangers. Quant au juif, pêcheur d'eau trouble aujourd'hui emporté dans son mellah par des courants modernistes, il est à l'unisson de cette société marocaine remarquablement douée pour la chasse à l'argent. Chez lui, l'intérêt fait prime dans le domaine des sentiments.

(1) Mauran. La société marocaine, page 18.

Et encore n'est-ce pas à la côte qu'il faille étudier le vrai bourgeois marocain. Celui-ci se montre mieux dans les villes de l'intérieur. A Meknès ou à Fès, on peut l'étudier à loisir dans la société policée esclave de la qaida (coutume) qui dicte les bonnes règles de l'étiquette. Plein de morgue, il ne se lasse pas

de louer la supériorité de son pays et de sa race : « La terre est un paon; le Maroc en est la queue » et ajoute-t-il modestement << Dieu est grand! toute la beauté réside dans la race arabe ». De nombreux proverbes traduisent d'ailleurs toute la fierté des Fasi, race que de Perigny a ainsi qualifiée ; « Intelligente et lettrée, spirituelle et volontiers caustique, riche, commerçante et active, insinuante et retorse, fanatique plutôt que sincèrement religieuse, pleine de morgue et de fierté » (1). A ces qualités et défauts qu'accompagne une séduisante politesse de manières et de langage on peut ajouter une duplicité et une rouerie qui sont bien connues en pays musulman. « Coupe la tête au Marocain avant qu'il ouvre la bouche » (2), dit l'Algérien qui le sait assez fin pour se tirer d'embarras, même dans les affaires les plus délicates et qui soupçonne toujours quelque ruse dans les écrits des marocains car leurs lettres donnent toujours lieu à discussion. Mais ces mensonges ne sont-ils pas une politique tout comme la religion que l'indigène observe du bout des lèvres, à la manière des pharisiens de l'Evangile ? des principes du Coran il retient ceux qui peuvent satisfaire son esprit sectaire ou lui permettre de se faire passer aux yeux de son prochain pour un bon Musulman, car, très ignorant du dogme, il se contente en réalité de pratiques superficielles et dans la vie courante il ne fait pas grand cas de la religion dont il oublie les préceptes quand il considère son intérêt en jeu : « Un tel est de ceux qui ont troqué la religion contre les choses périssables d'ici-bas» entend-on fréquemment dans les conversations entre indigènes. Et d'ordinaire le Marocain attache tellement de prix à ses « choses périssables », qu'il ne s'en dessaisit pas facilement. Un détail le montre, c'est la constance avec laquelle il

(1) Au Maroc : Fès la capitale du Nord, pages 11 et 12. (2) Avant qu'il ait plaidé sa cause.

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