Images de page
PDF
ePub

entre l'Oued Bou Regreg et le Tensift, la majeure partie du Maroc Occidental, s'étend un immense plateau calcaire et gréseux qui repose sur un soubassement de terrains primaires ou cristallins dont quelques morceaux affleurent ou émergent, de ci de là. Ce plateau est ordinairement sec, mais possède assez de limon pour retenir le peu d'humidité nécessaire à la culture et comprend alors des régions riches et fertiles: Chaouïa, Doukkala, Abda, Tadla. Parfois cependant il est dénudé à la façon des Causses français et alors, la végétation fatiguée par les vents se réfugie dans des trous; entre les pierrailles des troupeaux de moutons et de chèvres paissent une herbe rare. Les affleurements anciens donnent aux vallées encaissées de l'Oum er Rebia ou de l'Oued Mellah et surtout à celles des rivières du pays Zaer, la mélancolie et la monotonie de ravins rabotés par l'usure. Fragmentant la masse du plateau, ces infinités de vallées sauvages se succèdent toutes pareilles, sans humains, coupant les communications et n'offrant, par suite d'une action solaire intense, qu'un mince filet d'eau sans utilité pour l'irrigation. Sur leurs rives, striées de rigoles par le ruissellement superficiel, pousse une maigre végétation de palmiers nains, de genêts et de lentisques, pauvres plantes grisâtres bien adaptées à la tristesse des lieux. Cette mélancolie ne se dissipe qu'aux endroits où les terres ferrugineuses apportent leur clarté vive, mais c'est surtout sur le plateau calcaire, que la perspective des lignes tranquilles de paysages vierges qu'interrompent encore peu de routes et peu de maisons fait disparaître complètement l'impression de solitude bornée et étouffante ressentie dans les basfonds. Là s'étendent en effet, au printemps, de grandes plaines d'iris, de palmiers-nains, d'asphodèles, mêlées, « par places, à des amas de marguerites blanches, si serrées qu'on dirait des plaques de neige » (1) et si attirantes que l'œil se détache avec peine de toutes les claires couleurs de la campagne, vraie palette où s'étalent encore le bleu des larges volubilis, le jaune des petits soucis et le rouge des hauts glaïeuls. Les herbes tendres et menues qui font ressortir le pays sous une sorte d'état primi

(1) Loti, Au Maroc, page 38.

ti, n'impliquent pas toutefois qu'il soit inculte. Avril venu, les grasses terres, noires (tirs) ou rouges (hamri), se couvrent de vagues d'épis, car les blés, les orges et le maïs, non semés en petits champs carrés, à la mode française, ondulent sur des étendues qui n'en finissent plus. Seule, dans le lointain, se profile la silhouette crénelée de quelque kasbah dont l'élégant minaret rappelle aux humbles douars, cachés derrière des haies épineuses de cactus vert-bleu, la toute-puissance du chef de la tribu. Parfois dans le modelé plus mou de la croûte calcaire marneuse, les quartzites siluriens ou dévoniens se dressent violemment formant des arêtes grises rocheuses, dites sokhrat, qui mettent davantage en relief le caractère de désolation et d'infertilité de ces lieux caillouteux et arides. C'est ce paysage qui domine chez les Zaer, et qui est encore plus accusé chez les Ouled Saïd, en basse Chaouïa ou dans la plaine de Ben Guerir, chez les Sraghna, où ces quartzites revêtent l'aspect de murailles crevassées. Ailleurs les émergences du soubassement primaire se présentent de différentes façons, tantôt en petites saillies, disposées en « chapeaux de clowns » comme les Djebilet, tantôt en masses compactes qui dessinent dans la profondeur du ciel des silhouettes étranges, tel le Djebel Lakhdar (800 mètres) ancien centre de diramation de confréries maraboutiques. Les granites n'occupent que de faibles étendues, dans les << montagnettes » des Djebilet, sur le plateau des Rehamna et chez les Zaer, où les cuvettes elliptiques qu'ils forment sont recherchées des pasteurs qui y trouvent l'eau accumulée dans les bas-fonds. Leur aspect rappelle « toutes proportions climatiques gardées, quelque site du Morvan, caractérisé par ses ouches marécageuses et son relief granitique » (1). Ces terrains supportent également quelques grandes forêts qui, réparties par massifs plus ou moins importants, s'étendent par exemple, dans la Mamora jusqu'à la mer. La principale espèce de leurs peuplements, le chêne liège, y est mélangée au poirier sauvage et parfois aussi au thuya, qui s'accommode de tous les sols à exposition chaude.

(1) L. Gentil. Vue d'ensemble sur le relief du Maroc, page 21.

Ce ne sont là, on le devine, que certains aspects de la plaine immense, dont la variété est infinie et dépend non seulement de la nature du sol, mais aussi de la saison à laquelle on le voit. Notons cependant encore le contraste du Haouz de Marrakech où le paysage prend une forme particulière grâce à la la présence des gour, plateaux d'une horizontalité et d'une nudité décevantes, sur lesquels la chevauchée paraît «< longue et monotone à travers une plaine qui n'en finit point » (1) avec les ondulations harmonieuses du Gharb, région si pleine d'avenir et si recherchée déjà des colons-éleveurs: là c'est une nouvelle Normandie qui apparaît bien plus ample et aux mouvements largement rythmés mais rasée de tous ses arbres.

Les derniers plissements du Gharb entrecoupés de plaines et de grandes landes tapissées de jujubiers épineux et de broussailles maigres, annoncent les montagnes qui dessinent, le soir, commeun petit feston bleu et glacé, tandis que le ciel jaune-vert très pâle semble infiniment vide. Après les étendues dévorées de lumière, tachetées de quelques petits bois d'oliviers très vieux où s'abritent des bergers et des chèvres, la montagne tourmentée, déchiquetée, tout à l'heure encore éclatante de tons ardents, jaunes d'ocre, bruns dorés, bruns rouges, est maintenant bleuissante et dans les bas fonds, la fumée des douars berbères monte droit au ciel dans une insaisissable vapeur teintée d'iris. Mais nous abordons ici des régions nouvelles que les exploration's du Père de Foucauld, du Marquis de Segonzac du Professeur Louis Gentil, pour ne citer que les principales, et les missions envoyées par le Comité du Maroc ont commencé a nous dévoiler et que nous connaissons de mieux en mieux grâce à l'activité des colonnes françaises qui opèrent dans l'Atlas et à l'aviation qui nous rapporte des photographies d'endroits qu'aucun Européen n'avait encore jamais pénétrés. Car, ainsi qu'on le sait, les montagnes du Maroc sont les plus puissantes du système orographique nord-africain : l'Atlas, notamment, aux sommets élevés de 3.000 à 4.500 mètres, constitue une énorme muraille compacte dont l'influence s'exerce dure

(1) E. Aubin. Le Maroc d'aujourd'hui, page 73.

ment sur la vie politique et économique du pays, mais qui nous est plus sympathique que le Rif dont les falaises abruptes gênent les relations du Maroc avec ses voisins de la Méditerranée. Les deux chaînes ne présentent pas, en effet, des caractères homogènes. Leur constitution géologique différente leur vaut des variétés de forme et de structure qui se traduisent par des aspects de paysage caractéristiques. C'est ainsi que tantôt, se dresse dans le grand Atlas Occidental, un massif ancien, schisteux, granitique aux lames rocheuses d'un très bel effet, analogues aux «< taillantes » des Alpes Françaises et surplombant des gorges et des profondes vallées aux parois verticales. D'immenses glaciers, qui fondent sous le soleil ardent de l'été, y cachent temporairement l'âpre nudité du granite et des schistes bleus des sommets tandis que la morne solitude de la montagne ne s'égaie que là où les forêts de noyers, de cèdres, d'amandiers, de thuyas ont disparu pour faire place aux pâturages coloriés d'une flore, maigre sans doute, mais composée de touffes de graminées, de véroniques bleues, de statices à fleurs roses et parfois de grands cytises visqueux et jaunes. Tantôt aussi les plissements qui affectent les terrains jurassiques donnent naissance à des « paysages calcaires comparables à ceux du Jura, avec des crètes aigues qui jalonnent la direction des grandes vallées » (1). La plupart de ces montagnes furent jadis très boisées et sont terminées par des murailles de grès que couronnent de sombres forêts de cèdres, telles l'Ari Bougader et l'Ari Boudaa dans le Moyen Atlas mais certaines de leurs parties, totalement déboisées aujourd'hui, prêtent leurs flancs herbeux aux cultures et surtout aux pâturages, pendant la belle saison. D'autres endroits encore, revêtent des formes pittoresques évoquant soit des aspects ruiniformes, comme certains massifs du Grand Atlas Oriental, soit une structure en chapelet comme les domes calcaires du Rif. Une survivance des anciens âges a été signalée par les voyageurs dans certaines parois abruptes et prodigieusement élevées de l'Atlas: on y voit les ouvertures béantes de cavernes qui sont habitées par des ber

(1) L. Gentil. Le Maroc physique, page 188.

bères vivant à la façon des troglodytes ou qui leur servent à emmagasiner les grains ou à abriter les troupeaux. Ces grottes donnent naissance aux légendes les plus extraordinaires, tellement les habitants sont convaincus de l'existence de richesses immenses dans ces cavernes antiques. Enfermées dans des murailles souvent à pic les vallées s'ornent de villages et de cultures d'orges, de maïs qu'ombragent des noise iers, des trembles et surtout des noyers; quelques sources vauciusiennes sourdent dans celles qui sont aveugles. Entre les croupes des montagnes dont les flancs eux-mêmes sont fréquemment transformés « en champs étagés, en terrasses bordés de murs de pierre » (1) s'étirent quelques plateaux, terres à parcours des nomadisants, et des plaines, objet de convoitise pour les Chleuh les Béraber ou les Rifains qui ont vécu dans un état de guerre, perpétuel avant que des chefs de bande n'aient groupé leurs forces, à l'instigation de l'Allemagne, contre la domination française. Mais les cultures cessent et les habitations disparaissent à mesure qu'on s'élève dans la montagne : ni arbre, ni plante, ni brin de verdure, tout est roche, pas d'autre gibier que des gazelles et des mouflons. Seuls de grands jeux de lumière évitent la monotonie en projetant de vives couleurs sur les roches qui passent du rose au rouge du grès, au blanc du gypse et à l'ocre de l'argile. Parfois une teinte noire et luisante, <«< comme si elle avait été passée au goudron » (2), habille certaines roches dans le sud du Maroc tels les grès de Tikirt, et dans tout ce chaos s'éteignent les formations basaltiques dont l'abondance fait dire aux habitants : les montagnes tournent autour de notre pays. Et de fait, ce n'est pas seulement le Djebel Siroua, au modèle caractéristique aussi imposant par ses dimensions semblables à celles de l'Etna que par ses déjections analogues à celles du grand volcan du Cantal, qui attirera plus tard les touristes. Dans le Rif, dans les Beni Snassen comme dans le Moyen Atlas on a relevé l'existence de pitons volcaniques qui rappellent ceux de l'Auvergne; aussi, peut-être,

(1) De Segonzac, Voyages au Maroc, page 42.

(2) De Foucauld. Reconnaissance au Maroc, page 103.

« PrécédentContinuer »