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brunes, la silhouette crénelée de quelque ville emprisonnée dans de longues murailles, attestent, ainsi que mille autres détails, la survivance d'un monde éloigné du nôtre de plusieurs siècles. Aussi, au contact du Maroc et à son observation, les différences surgissent-elles, nombreuses et fortes.

Terre antique, civilisation vieillie, gens rudes et tenaces, telles sont les principales caractéristiques du Maroc qui laisse au voyageur une impression de terre sauvage autant isolée dans le temps que dans l'espace. Il semble, en effet, que par ses plateaux doucement inclinés vers la mer, le pays cherche à tourner le dos à l'Algérie et à la Tunisie, ses sœurs en Islam, pour mieux se figer dans le mystère de ce vieux Maghreb, qui s'ennoie sous les vagues de l'Océan, loin des continents dont le sépare au Nord et à l'Ouest le large fossé des mers, tandis qu'à l'opposé, la haute barrière de la montagne le protège également, comme un rempart naturel, des influences extérieures. Mais cet isolement contribue à lui façonner une vie propre, étroitement traditionnaliste et particulariste à l'excès; si bien que le Maroc, aux conditions de vie toutes spéciales, paraît aussi étranger aux provinces nord-africaines, ses voisines, qu'à la France ou à l'Espagne, aujourd'hui ses protectrices. Dans l'ensemble. des hautes terres que les Arabes appellent, en leur langage imagé « l'Ile de l'Occident », il est resté comme un îlot ancien séparé, depuis une lointaine époque, de l'Archipel berbère auquel nul lien ne le rattache plus depuis longtemps. Cette solitude est un caractère du Maroc qu'il convenait de noter avant qu'il disparaisse sous l'influence de la colonisation française.

DU MAROC

Vieille terre, le Maroc tire ses origines conLA FORMATION nues de l'antique « chaine hercynienne » qui, née au Sahara, couvrait en écharpe le Maroc, l'Espagne et la France. Mais cette chaine, en dépit de sa base massive et de l'élévation de ses sommets, a connu de bonne heure les inéluctables déprédations du temps. Si les roches sont demeurées de même nature: granites, grès, quartzites, schistes, et même en plus grand nombre au Maroc que dans le reste de l'Afrique du Nord, la physionomie du pays

a, par contre, beaucoup varié. Les reliefs, qu'on a tout lieu de supposer très élevés autrefois, à en juger par les altitudes de 3.500 et 4.000 mètres relevées aujourd'hui dans l'Atlas, ont subi, dès l'époque primaire, l'usure des érosions, l'effritement des dislocations, les secousses des affaissements. Lentement les vieilles roches se sont nivelées, affectant l'allure de pénéplaines qui sont devenues ultérieurement les plateaux du Sahara, des Confins Algéro-Marocains, ou, dans le Maroc occidental, ceux des Abda, des Doukkala, des Chaouïa et d'Oulmès. Ce sont elles aussi qui ont formé, au delà des mers, les plateaux de l'Espagne et de la France centrales. C'est pour rappeler cette communauté d'origine, doublée d'une analogie de structure, que les géographes modernes ont désigné les plateaux marocains du nom de meseta, qui s'applique aussi au plateau central espagnol ou meseta ibérique. Ces pénéplaines, nées sur les débris de la chaîne hercynienne, ont été, par suite de l'effondrement du vieux massif, entourées d'un fossé qui les a isolées du Sahara, de l'Algérie et de l'Espagne, et il se peut que les coupures actuelles de l'Oued Draa, de la Moulouya, de la Méditerranée occidentale correspondent approximativement aux limites de cette excavation, vraie douve de forteresse, sur laquelle se sont érigés, à l'ère tertiaire, lors du réveil des forces orogéniques, les hauts systèmes de l'Atlas et du Rif. Mais si des compressions dans diverses parties du socle primitif ont alors amené ces surrections, qui donnent aujourd'hui sa caractéristique au pays, des phénomènes de tassement sur les versants de la montagne ont produit, par contre, les régions affaissées du Maroc, telles celles de Marrakech et du Sous, tandis que quelques rides, venues mourir, comme le Bani, à la limite du désert, ont marqué probablement les dernières convulsions de l'écorce terrestre à cette époque.

L'évolution du relief marocain ne s'arrête toutefois pas là. Par contraste avec les exhaussements qui provoquèrent des affaissements, les effondrements ont suscité des éruptions dont la nature volcanique s'observe dans de nombreux vestiges : les vallées de la Chaouïa, les collines des Djebilet, le Maroc oriental (Msirda, Angad, Oudjda) portent les traces de cette ancienne effervescence, bien que ce soit surtout dans l'Atlas que se trou

vent les plus beaux affleurements de roches volcaniques. Dès les temps primaires, le Likoumt (3.906 mètres), le Toubkal et le Tamjout ont reçu, dans le Grand Atlas, leurs puissantes assises de laves, et à une époque plus rapprochée de la nôtre, de nouvelles éruptions ont donné naissance au Siroua (3.300 mètres) qui unit le Grand et le Petit Atlas, puis aux beaux cônes volcaniques du Moyen Atlas: Tigrigra, Ari Boudaa, Timhadit, lesquels abritant dans leurs cratères éteints des cèdres et des chênes majestueux,« rappellent, par leur état de conservation, les plus beaux volcans de la chaîne des Puys, en Auvergne » (1). Sans retracer ici l'histoire géologique du Maroc, ajoutons qu'à côté de ces accidents marquants, la géologie a relevé d'autres phénomènes intéressants tels que certaines ruptures de continuité qui se sont produites, à une époque récente, soit entre le Rif et la Cordillère bétique, soit entre l'Atlas et l'Archipel des Canaries. On considère que ce sont là, avec la fermeture du détroit Sud-Rifain, dont les vallées du Sebou et de la Moulouya inférieure rappellent seules le souvenir, les dernières évolutions qui ont constitué le Maroc tel qu'il est aujourd'hui. Par suite de ses origines on a pu distinguer un Maroc européen composé du Rif qui se rattache à la Péninsule Ibérique, et un Maroc africain qui commence seulement au sud de la trouée de Taza, et comprend l'Atlas et la « meseta » marocaine. Coïncidence bizarre, c'est sur la partie qui s'est trouvée reliée géologiquement à l'Andalousie que s'exerce actuellement le protectorat espagnol, tandis que le reste du Maroc, partie intégrante du continent noir, est soumis à la France, puissance coloniale africaine...

LES ASPECTS

La disposition topographique du sol marocain. résulte naturellement de cette évolution géoloDU PAYS gique. Elle s'offre comme une série de compartiments aux traits différents, où la diversité des paysages est rendue encore plus sensible par la variété des aspects que le Maroc tient des roches constitutives de son sol. Sur la côte atlantique où la « meseta » marocaine comprend,

(1) L. Gentil. L'histoire physique du Maroc.

entre l'Oued Bou Regreg et le Tensift, la majeure partie du Maroc Occidental, s'étend un immense plateau calcaire et gréseux qui repose sur un soubassement de terrains primaires ou cristallins dont quelques morceaux affleurent ou émergent, de ci de là. Ce plateau est ordinairement sec, mais possède assez de limon pour retenir le peu d'humidité nécessaire à la culture et comprend alors des régions riches et fertiles: Chaoufa, Doukkala, Abda, Tadla. Parfois cependant il est dénudé à la façon des Causses français et alors, la végétation fatiguée par les vents se réfugie dans des trous; entre les pierrailles des troupeaux de moutons et de chèvres paissent une herbe rare. Les affleurements anciens donnent aux vallées encaissées de l'Oum er Rebia ou de l'Oued Mellah et surtout à celles des rivières du pays Zaer, la mélancolie et la monotonie de ravins rabotés par l'usure. Fragmentant la masse du plateau, ces infinités de vallées sauvages se succèdent toutes pareilles, sans humains, coupant les communications et n'offrant, par suite d'une action solaire intense, qu'un mince filet d'eau sans utilité pour l'irrigation. Sur leurs rives, striées de rigoles par le ruissellement superficiel, pousse une maigre végétation de palmiers nains, de genêts et de lentisques, pauvres plantes grisâtres bien adaptées à la tristesse des lieux. Cette mélancolie ne se dissipe qu'aux endroits où les terres ferrugineuses apportent leur clarté vive, mais c'est surtout sur le plateau calcaire, que la perspective des lignes tranquilles de paysages vierges qu'interrompent encore peu de routes et peu de maisons fait disparaître complètement l'impression de solitude bornée et étouffante ressentie dans les basfonds. Là s'étendent en effet, au printemps, de grandes plaines d'iris, de palmiers-nains, d'asphodèles, mêlécs, « par places, à des amas de marguerites blanches, si serrées qu'on dirait des plaques de neige » (1) et si attirantes que l'œil se détache avec peine de toutes les claires couleurs de la campagne, vraie palette où s'étalent encore le bleu des larges volubilis, le jaune des petits soucis et le rouge des hauts glaïeuls. Les herbes tendres et menues qui font ressortir le pays sous une sorte d'état primi

(1) Loti, Au Maroc, page 38.

tif, n'impliquent pas toutefois qu'il soit inculte. Avril venu, les grasses terres, noires (tirs) ou rouges (hamri), se couvrent de vagues d'épis, car les blés, les orges et le maïs, non semés en petits champs carrés, à la mode française, ondulent sur des étendues qui n'en finissent plus. Seule, dans le lointain, se profile la silhouette crénelée de quelque kasbah dont l'élégant minaret rappelle aux humbles douars, cachés derrière des haies épineuses de cactus vert-bleu, la toute-puissance du chef de la tribu. Parfois dans le modelé plus mou de la croûte calcaire marneuse, les quartzites siluriens ou dévoniens se dressent violemment formant des arêtes grises rocheuses, dites sokhrat, qui mettent davantage en relief le caractère de désolation et d'infertilité de ces lieux caillouteux et arides. C'est ce paysage qui domine chez les Zaer, et qui est encore plus accusé chez les Ouled Saïd, en basse Chaouïa ou dans la plaine de Ben Guerir, chez les Sraghna, où ces quartzites revêtent l'aspect de murailles crevassées. Ailleurs les émergences du soubassement primaire se présentent de différentes façons, tantôt en petites saillies, disposées en «< chapeaux de clowns » comme les Djebilet, tantôt en masses compactes qui dessinent dans la profondeur du ciel des silhouettes étranges, tel le Djebel Lakhdar (800 mètres) ancien centre de diramation de confréries maraboutiques. Les granites n'occupent que de faibles étendues, dans les << montagnettes » des Djebilet, sur le plateau des Rehamna et chez les Zaer, où les cuvettes elliptiques qu'ils forment sont recherchées des pasteurs qui y trouvent l'eau accumulée dans les bas-fonds. Leur aspect rappelle « toutes proportions climatiques gardées, quelque site du Morvan, caractérisé par ses ouches marécageuses et son relief granitique » (1). Ces terrains supportent également quelques grandes forêts qui, réparties par massifs plus ou moins importants, s'étendent par exemple, dans la Mamora jusqu'à la mer. La principale espèce de leurs peuplements, le chêne liège, y est mélangée au poirier sauvage et parfois aussi au thuya, qui s'accommode de tous les sols à exposition chaude.

(1) L. Gentil. Vue d'ensemble sur le relief du Maroc, page 21.

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