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taux de céréales et des millions de peaux de chèvres et de moutons. Mais on espère que demain cette production va s'accroître encore bien davantage et avec un nouveau caractère. La France demande en effet au Maroc de diriger ses efforts agricoles vers les cultures « de complément », c'est-à-dire vers celles qui en apportant la richesse au pays, seront éminemment utiles à la Mère-Patrie. Il faut que celle-ci puisse, grâce à ses colonies, se libérer du lourd tribut qu'elle paye aux nations voisines et aux pays éloignés; et qu'elle fortifie son change en réduisant dans l'avenir son exportation d'or. «< En pratiquant cette politique, dit M. le député Barthe, nous créerons avec le Maroc de véritables courants d'échanges, parce que les navires qui iront chercher les denrées exporteront nos produits manufacturés, et ainsi nous fournirons du fret de retour à nos exportateurs ». Aussi s'attend-t-on à ce que le Maroc intensifie ses céréales, notamment son blé dur si nécessaire aux fabriques de pâtes françaises et son maïs qui nous évitera des achats en Europe Centrale et en Amérique; ses légumineuses alimentaires qui nous fourniront des légumes secs à la place de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Russie; ses plantes oléagineuses et textiles telles le lin que nous importons d'Argentine et des Indes Anglaises, le ricin pour lequel nous sommes tributaires de l'Inde, le coton si indispensable à notre industrie textile, etc. Enfin on veut que le Maroc soit producteur de bétail. Nous ne connaissons pas toute la richesse de son cheptel, car les indigènes sont ennemis des déclarations exactes; mais un fait est certain et c'est là l'essentiel, c'est que le pays se prête admirablement à l'élevage, grâce à son climat et à ses bonnes prairies. Nous pourrons y constituer de fortes réserves de bœufs, de moutons et de porcs. C'est là un point capital pour notre pays. Aussi, la Commission des Douanes, chargée d'étudier le nouveau régime douanier à donner au Maroc, insiste-t-elle pour que le Maroc se dirige vers les cultures complémentaires. On ne saurait mieux agir en prévision de l'avenir.

Au fur et à mesure que la production s'intensifiera, le mouvement des échanges franco-marocains s'accroîtra sans nul doute,

mais le pays devra s'organiser surtout pour la transformation des produits. La richesse d'une nation ne s'inscrit plus en argent ou en valeurs; elle s'exprime en capacité de production, c'està-dire en chevaux-vapeurs, en machines, en usines. Il est peutêtre des bassins de charbon dans le Maroc dont la houille servira de combustible aux industries nouvelles. Mais on en est encore, sur cette question, qu'à la période des hypothèses et c'est à l'Etat qu'il appartient, dans ce domaine spéculatif, d'encourager les initiatives individuelles. Ce qui est toutefois positif, c'est la houille blanche que fourniront les grands fleuves marocains dont l'utilisation pourra transformer le Maroc en un pays industriel: on sait toute la force qu'il est possible de tirer de l'électricité pour actionner les petits moteurs utilisés dans les campagnes, les usines, les tramways, les chemins de fer. Mais la métamorphose du Maroc ne s'effectuera rapidement que si l'on sait dépenser avec audace et largeur de vues. L'histoire industrielle de l'Allemagne est là pour nous montrer l'extrême complication de certains problèmes se rattachant à l'industrie; il est bon de la lire et de la méditer. Dans un pays jeune et riche comme le Maroc, le champ est vaste pour les expériences et les réalisations. Attelons-nous à cette besogne. Peut-être la tâche eut-elle été très difficile en temps normal. Mais le pays, « par un de ces retours étranges des circonstances, voit, en ce moment même, se constituer ce qui lui manquait totalement, une maind'œuvre indigène éduquée, venue des usines de guerre de France et que la métropole renvoie ou renverra toute prête à entrer dans les usines nord-africaines. L'éducation professionnelle des jeunes musulmans nous procurera les cadres futurs de contremaîtres et de spécialistes demandés » (1). Déjà au Maroc où souffle un vent favorable aux affaires industrielles on constate d'heureux prodromes; aussi peut-on voir, dans l'industrialisation du pays, des promesses magnifiques de développement économique. Les néo-marocains prennent de plus en plus conscience des possibilités dont la nature a doté leur pays; ils attendent avec confiance le concours des Français pour pouvoir

(1) Perreau-Pradier et Besson. L'Afrique du Nord et la guerre, p. 208.

les exploiter pleinement dans l'intérêt commun de la France et du Maroc.

Mais s'il convient à une politique de colonisation d'intensifier la production, il faut aussi qu'elle sache mettre à profit les capacités des indigènes dont la disposition des esprits ne cadre pas toujours avec notre originalité et notre féconde activité. Il nous faut donc pratiquer vis-à-vis d'eux une politique d'éducation et d'association. « Instruire une nation, c'est la civiliser », disait Turgot. Nous avons suffisamment développé les heureux résultats de notre méthode d'enseignement indigène au cours de ce livre, et montré son efficacité au Maroc pour que l'on soit fixé, à ce sujet, sur la politique poursuivie par notre Protectorat. Les résultats promettent d'être d'autant plus heureux que nous instruisons une population intelligente, laborieuse et intéressée, que nous pourrons manier à notre volonté le jour où l'usage de la langue française, déjà bien répandu au Maroc, sera tout à fait courant. La communion d'idées entre les deux races ne deviendra-t-elle pas alors plus étroite lorsque l'âme française aura circulé, sous ce ciel d'azur, dans un Maghreb régénéré ? Plus rapprochés les uns des autres nous nous comprendrons cer ́ainement mieux. Déjà l'Afrique n'est plus partout terra incognita et l'Afrique française, pour son compte, aura bien montré ses sentiments d'affection envers la Mère-Patrie; par sa conduite pendant la guerre, elle aura récompensé la France des efforts que celle-ci a consentis pour elle. Au Maroc une association. intime est née entre les deux peuples pour la mise en valeur des richesses du sol; elle est en train de se compléter par une délicatesse de sentiments qui honore les deux pays. En retour d'un prestige rehaussé et d'une autorité affermie par nous, le Sultan du Maroc nous a donné le plus précieux concours pendant la guerre : l'histoire dira un jour comment ces troupes indigènes spahis ou tirailleurs, qui ont conquis la fourragère à Salonique et sur nos champs de bataille, ont su, en s'élevant à la suprême gloire, payer de leur sang la dette de reconnaissance que leur pays, tiré de la barbarie, avait contractée vis-à-vis de la France. Comment ceux qui possèdent un tel esprit d'attachement et des vertus d'abnégation et de sacrifices poussées au plus haut degré,

ne seraient-ils pas les meilleurs serviteurs de la paix? Après avoir été nos frères d'armes pourront-ils ne pas devenir des collaborateurs fidèles et des auxiliaires appréciés?

A ce Maroc évolué notre politique coloniale devra s'adapter. L'organisation économique du pays nécessitera des rapprochements, des ententes avec les pays voisins et similaires pour l'élaboration et l'exécution d'un plan nouveau. De ce fait le gouvernement aura à trouver la formule qui exprimera la solidarité dans la paix pour travailler au bien commun. L'union est une nécessité qui s'impose aux trois provinces sœurs de l'Afrique du Nord. L'unité économique et militaire doit être entière; déjà ses premiers linéaments apparaissent dans le rail qui reliera prochainement Tunis à Casablanca. Au point de vue politique, par suite du légitime souci de respecter le régionalisme nord africain, les formules d'union peuvent varier; mais la conscience publique se rend parfaitement compte que l'Afrique du Nord n'est qu'un morceau de la Plus Grande France et qu'à ce titre on doit lui donner une organisation spéciale, appropriée au rôle qu'elle est appelée à jouer dans l'avenir. Noble et étendue apparaît devoir être la part d'un Maroc bien peuplé et bien mis en valeu r.

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